mercredi 29 février 2012

A table.

En train de vous débattre avec un morceau de saucisse de Strasbourg dont la peau d'un rouge criard n'a pas été ôtée.
A deux doigts de vous étouffer, vous avalez votre verre de flotte pour faire passer le bébé, comme vous aviez l'habitude de le faire à la table familiale des années auparavant quand votre mère avait la bonne idée de mettre des vermicelles dans la soupe de légumes...Vous haïssez les vermicelles dans la soupe de légumes...

Vous tentez, tremblante d'émotion d'avoir survécu, de terminer la salade huileuse aux pommes de terres et tomates hors saison dont le morceau de saucisse criminel fait partie, allant même jusqu'à pensez y ajouter une pointe de moutarde histoire de vraiment être sûre de crever sur le carrelage et de vous vider de vos entrailles.
Vous stoppez vos envies mortifères et essayez, tant bien que mal, de ramener votre attention sur votre interlocuteur, et replongez vos grandes oreilles dans sa logorrhée...

En face de vous, un adversaire redoutable.
84ans de mauvais caractère se dresse fragilement.
Il vous sourit malicieusement, parce qu'il sait qu'il a gagné la partie.
Il le sait depuis le moment où, un peu pétée, autour de la table familiale vous aviez déclaré:

-"Mais attend tonton, on habite à deux pas l'un d'l'autre (22 stations de métro et trois changements, c'est dire si vous étiez bourrée), si tu veux, je viens te voir une fois par semaine, ça ne me dérange ABSOLUMENT pas, au contraire ça me fait plaisir et ça te fera de la visite".
Sans doutes vous étiez vous dit que ce serait toujours un repas de gratté.
Quelle conne.
C'est dans des moments comme celui-ci que vous auriez aimé que votre langue reste collée à la vitre brulante du four quand vous étiez encore assez petite pour guetter la cuisson du gratin dauphinois bardé de crème de papa...

Depuis cette connerie monumentale, cet élan altruiste qui vous ressemble pourtant si peu, vous vous cognez tous les mardis deux heures de trajets pour aller ingérer un repas routier aux couleurs psychédéliques et discuter le bout de gras avec André (vous vous échinez à l'appeler DéDé, ce qui a pour effet immédiat de l’énerver, et, de le faire postillonner encore un peu plus).

Une sorte de rituel hebdomadaire auquel désormais, vous, comme lui, ne pouvez (ou ne voulez) plus échapper.

Ainsi, chaque mardi, à 12h30 tapantes, vous arrivez, l'eye-liner de traviole et le cheveux fou. Vous grimpez les six étages de l'immeuble super sécurisé, et atteignez la porte déjà entrouverte.
Il vous attends, et tel un tueur sanguinaire vous vous glissez silencieusement dans l'appartement. Mais ici pas de doutes, ce n'est pas vous qui allez avoir sa peau mais bien lui qui finit par avoir la vôtre...

Vous lui ramenez ses cannes, et vous vous assurez qu'il a bien glissé son portefeuille dans la poche intérieure de la petite veste mi-saison qui n'a pas dû voir un bain d'eau clair depuis un bail, et le poussez gentiment mais fermement vers la porte pour aller, en un quart d'heure de temps, au resto (ou plutôt à la cantine) qui est en face de son immeuble.
Votre calvaire commence, et le pire, c'est que vous êtes ravie de voir cette vieille fripouille...

Dans l’ascenseur s'en suivent généralement une ou deux réflexions sur votre coiffure:
-"y'a du vent aujourd'hui ou c'est que t'as pas fait d'effort!?"
La même chose sur votre tenue:
-"Ta mère le sait que tu sors comme ça!? Et elle dit rien? bah dis donc (balancé à voix basse entre son dentier et son menton qui pend)
Et enfin sur le maquillage dont l'effet est effectivement discutable.
-"OHHHHHHHHHH (bien bien appuyé) Et bah ça c'est un sacré rouge à lèvres, c'est pas bien beau..."
Encore une chance qu'il ne sache pas qu'il a coûté pas loin du prix de son déambulateur...

Arrivés péniblement à l'entrée du resto, où c'est tout juste si l'on ne vous déballe pas le tapis rouge et les colliers de fleurs pour vous remercier d'une assiduité si improbable, vous cherchez des yeux la patronne qui, généralement, se démarque d'une clientèle "tiercé, quarté, quinté plus" par une tenue que l'on pourrait qualifier de "olé olé" .
L'établissement aux teintes marron ose le pari d'un style "traditionnel/terroir" qui se veut d'influence multiple puisqu'il mélange assez maladroitement divers matériaux tels que le marbre, le liège, le skaï et la frisette (oui oui, un tel mélange est possible).

Après avoir dérangé environ 43 personnes pour faire zigzaguer tonton entre les tables avec ses quatre pieds fragiles, vous aboutissez non sans mal à votre table, qui, aussi absurde que cela puisse paraître, vous apparaît presque comme un eldorado.
Écrasée dans le vieux fauteuil capitonné dont le revêtement plastique vous colle aux cuisses vous pouvez enfin vous mettre en mode veille...
Le patron, un roux anorexique aux tatouages footballistiques sur l'avant bras vous énonce la farandole de mets auxquels vous allez être soumis et disparaît en "cuisine".

Assis l'un en face de l'autre, avec pour seuls obstacles entre vous et lui un demi de rouge et un tube de moutarde en plastique, vous disparaissez de la conversation, et votre adversaire devient alors votre dictateur, votre magnétophone, votre radio, et vous, son seul public...
Vous êtes dans l'ombre et vous n'avez plus rien d'autre à faire qu'écouter...tout en ingurgitant les "choses" que l'on vous présente dans de petites assiettes peu appétissantes...

Sa vessie a désormais décidé de vivre sa propre vie. Son menuisier lui tire 900balles pour un meuble où glisser les rouleaux de papier toilette. On lui a découvert un troisième ulcère a l'estomac. Il vient de prendre la décision de changer la climatisation (qu'il a déjà changé il y a deux ans). Il n'est pas content de la couleur de sa nouvelle salle de bain (que l'on pourrait qualifier de "bleu pingouin"). Il a de nouveau une infection urinaire, et avec force de détails vous raconte comment évolue son incontinence "à l'avant comme à l'arrière".

Vous repoussez l’assiette d'une bouillie pompeusement appelée "sauté de bœuf". Bizarrement, vous n'avez plus très faim...

Il a décidé de ne plus parler à sa sœur, qui, demeurant à 20 minutes de chez lui préfère "aller faire des courses plutôt que de venir le voir" (vous arriveriez presque à lui pardonner), alors il "l'emmerde", tout en n'oubliant pas de se resservir une rasade de rouge qui accompagne parfaitement ce qui vous est donné à "manger"...

Sa diabétologue est une "épicière" qu'il ne veut plus allez voir parce qu'elle lui prend trop cher, et son médecin généraliste "un con" qui lui a trouvé un troisième ulcère à l'estomac, ce qui pourrait, selon ses dires, expliquer que la nuit il a des douleurs dans le pied...
Vous vous gardez bien d'y trouver une explication logique...et le laissez continuer, tandis que vous vous bagarrez avec votre organisme, et en particulier votre glotte, qui refuse de faire passer la SUCCULENTE "tarte à l'ananas" du jour.
Par chance, tonton, qui n'a finalement pas le palais totalement brulé concède qu'elle est "dégueulasse" et vous n'êtes donc pas contrainte de la finir... Vous auriez presque envie de pleurer de bonheur.

Enfin, sur les états d'âme de sa vessie, vous "touillez" votre café, et pour la 300ème fois, il ronchonne parce que les patrons "ne sont pas foutus de mettre autre chose que des amendes chocolatées", qu'avec son dentier de travers, il ne peut pas croquer...
Vous souriez, et vous vous jetez dessus tel un chiot sur une tranche de lard, parce que c'est la seule chose digeste que l'on vous offre depuis le début de cette pitance...Et vous vous rendormez le temps que tonton finisse sur sa phrase fétiche en fin de repas: "Tu sais c'est pas facile hein".
Et vous d'acquiescer de la tête avec votre air le plus peiné qui soit alors que vous avez trois kilos de bouffe avariée dans le coffre.

Péniblement, vous vous levez, embêtez encore les quatre tables alentours pour laisser passer l'énergumène qui ronchonne une énième fois parce qu'il ne veut pas de votre aide et qu'il peut "tout à fait mettre sa veste tout seul" alors qu'il manque quatre fois de se manger le mur recouvert d'un joli crépis lui aussi marron.
A la caisse la tenancière vous sourit vulgairement avec l'espoir tentaculaire de vous revoir la semaine suivante et vous glisse un "merci beaucoup" quand elle entend la monnaie sonnante et trébuchante dont vous vous fendez pour le "service rapide et agréable" (c'est marqué sur un article jaunis à côté de la porte d'entrée).
Le retour se fait généralement rapidement et il vous parle déjà du film qu'il vous a préparé pour la suite du programme.
Aussi, quand vous vous asseyez à ses côtés sur le canapé défoncé vous savez déjà que la jeune fille va se faire trucider par son père et que ce dernier, poursuivit par la police va aller se réfugier dans un chalet à la montagne et que depuis ce nouveau QG il va perpétrer quatre autres meurtres avant de se faire intercepter par un commissaire zélé appelé Cody. Merci pour le suspense.

Aussi on comprend que le générique passé vous commenciez tranquillement une petite sieste, histoire de faire passer le bébé transgénique que vous avez dans le ventre.
Deux trois fois vous vous réveillerez tirée de votre bulle par votre oncle qui n'a visiblement rien compris à "qui a tué qui".
Bredouillant une réponse sans queue ni tête dans laquelle il semble trouver son compte vous retournez caliner morphée tandis que les images défilent.
Le film fini vous vous jetez sur votre Iphone pour recracher deux trois conneries volée sur le synopsis de wikipedia comme pour prouver que vous avez bien tout compris et suivi avec attention l'histoire.
André sourit et vous glisse un chevrotant "merci de ta visite, à mardi", tandis que vous tentez de rentrer dans votre veste trop petite.
Confidence pour confidence vous lui lancez un "merci à toi" d'une voix de petite fille, sur lequel vous refermez la porte, consciente que le temps qui passe fera de vous son orpheline.

Y'a pas a dire vous aimez les mardi, et, oui, vous aimez les vieux...

jeudi 16 février 2012

Côté pratique.

Vu que vous êtes officiellement chômeuse (non non, cela ne sert plus à rien de le nier, tout le monde est au courant), vous n'avez donc absolument plus rien à foutre, non seulement de vos journée, mais aussi de vos semaines...
Vu que vous n'avez donc plus rien à glander, vous vous êtes peu à peu créé de nouvelles occupations....
Vous qui étiez la pote pas vraiment regardante sur le ménage, vous êtes presque devenue maniaque...
Finis les petites miettes qui ornaient jadis durant des jours voire des semaines le tapis.
Il suffit qu'un con vienne péter son chips goût fromage/oignon ailleurs qu'au dessus de son petit sopalin, et la veine à côté de votre œil menace d'éclater.
Le coussin parfaitement placé sur le côté droit de votre canapé ne doit bouger sous aucun prétexte sous risque de menacer l'esthétique quasi parfait de votre petit salon de branleuse fauchée.
Désormais on pose son verre sur la table à la seule condition que ce dernier soit munis de son petit napperon de couleur (pour qu'il n'y ait pas de confusion entre les verres) histoire de, je vous cite, "ne pas abîmer la patine de ma table vintage" alors qu'elle est déjà défoncée.
Vous êtes gerbante.
Fini les pâtes trop cuites à cinq heures du mat en sortie de soirée pour vos 15 potes défoncés et échoués chez vous parce que c'est plus sympa de se finir tous ensemble.
La viande soule rentre désormais chez elle et vous ne les conviez que quand ils sont sobres, et ce pour "diner" autour d'un "bon bourguignon qui a mijoté trois heures" et ses "petits légumes". Vous êtes la reine des connes.

Désormais les cacahuètes sont dans des bols "maison du monde", les curly dans un petit plat ou des cerfs se font courser par des chasseurs avant de se faire butter, et les couverts viennent de chez Habitat. Le tout ayant été dégoté après 96heures de discussion sur "LE BON COIN" pour grappiller trois euros par-ci par-là à de pauvres vendeurs sans le sou.

En bref, vous êtes devenue une parfaite petite femme d’intérieur (d'ailleurs vous pensez sérieusement à l'achat d'un tablier...), allant même jusqu'à vous mettre en scène lors de l'arrivée de vos potes éreintés par une journée de boulot:

Vous
: "Ho, tu es déjà là!?" (ça fait trois heures que vous poireautez dans l'espoir qu'il se ramène en avance, et vous avez eu le temps de siffler plus de la moitié de la bouteille)
Lui: Bah on avait dit 20heures nan!?
Vous: Je ne sais plus, j'suis tellement prise en même temps, j'arrête pas de courir partout...

Une chance que personne ne vous demande ce que vous foutez de vos journées, parce qu'inutile de dire que vous seriez bien emmerdée pour répondre...

La koennigsbier à 8 euros les quarante canettes, a tiré sa révérence, et vous êtes maintenant "membre privilège" chez Nicolas, où c'est tout juste si l'on ne vous déroule pas le tapis rouge dès que vous en poussez la petite porte vitrée.
Les Mâcon, Bourgogne, Côte du Rhône village, et autres divins nectars n'ont plus de secret pour vous et vous allez jusqu'à vous aventurez à des "j'aimerai quelque chose de Métallique, ou quelque chose de Rond" au caviste qui vous regarde comme un clébard regard les restes secs de son Canigou de la veille...vous êtes ringarde.
La bière a fait place à du martini dans votre frigo et les petits suisses à des perle de lait noix de coco...

Même la BO de vos soirée à changée. Désormais, au moment de trinquer avec des verres à pieds qui coûtent plus qu'une épilation maillot vous glissez crâneusement un morceau de Jazz et faites semblant que ce n'était pas voulu.
Bientôt, si ça continue, chez vous, on écoutera du Brahms en bouffant de la biche fourrée aux marrons....Vous vous feriez vomir vous-même.

Bien sûre, l'histoire ne s'arrête évidemment pas là, puisque vous êtes également devenue la reine des gâteaux...
Non contente de n'avoir de cesse de vous empiffrer en mode Peggy la cochonne de mets salés, offrant des proportions tout à fait abracadabrantesques à votre corps, pour ne pas dire à votre arrière train, vous n'avez plus qu'une religion, celle de la pâtisserie.
Votre four est désormais votre meilleur ami, et à chaque fois que vous ouvrez, curieuse, cette malle aux trésors c'est pour en ressortir un nouveau gâteau toujours plus gros, toujours plus gras, avec un sourire aux lèvres qui ferait même peur à un petit enfant méchant...
A la manière de Gretelle, vous êtes en train de bouffer la baraque, sauf que vous endossez aussi le rôle de la sorcière...

Le temps, que vous avez maintenant en quantité gerbante vous crache en pleine gueule votre changement. Vous en avez tellement à bruler que vous êtes sur le point d'en devenir conne, chiante, et imbouffable, juste pour ne pas vous avouer que, non, vous ne supportez pas d'avoir du temps libre, et que oui, vous vous faites CHIER... Chier au point de vous sentir inutile...parfois...
A moins que cela ne s'appelle simplement vieillir...